Entre le père Deau et moi, la correspondance reprend. Très vite, nous convenons de nous revoir en mai à Malagar car je dois m'y rendre pour terminer d'aménager le petit logement que la région Aquitaine met à la disposition de la famille Mauriac pour la remercier de lui avoir fait don de la propriété. Je lui avais décrit la colère puis le chagrin que j'avais éprouvés face à la décision de ma mère, de sa sœur et de ses frères. Leur volonté inébranlable malgré mes supplications, celles de mon frère et de mes cousines. Nous ne réclamions que de différer de quelques années leur choix. J'étais la plus acharnée car j'y allais souvent. Cette propriété était ce à quoi je tenais le plus au monde. Un paradis de l'enfance d'abord, des années délaissé, et un paradis pour l'adulte que j'étais devenue. Durant les huit dernières années de la vie de ma grand-mère, j'avais pris l'habitude de passer de réguliers séjours auprès d'elle. C'est là que nous avions appris à nous connaître et à nous aimer. À sa mort, grâce à l'insistance de ma plus chère amie, j'y étais retournée. Miracle, les jours heureux étaient tout aussi vivants et je pouvais y retrouver sans tristesse des êtres aimés et disparus. C'est là que j'ai commencé à écrire. Je pus en profiter encore deux ans puis je dus m'en aller comme en avait décidé ma famille.
Anne Wiazemsky in Un Saint Homme
© Éditions Gallimard, 2017
Fotos gentilmente cedidas por Meei-huey Wang.
Um artigo do Guardian aqui
Un peu avant le dîner et après qu'il eut pris son bain tout en dialoguant avec ses chatons, Robert Bresson me demanda de venir dans sa chambre. Je quittai la mienne et passai dans la sienne où il m'attendait allongé sur son lit, deux scénarios sur les genoux. Il m'en tendit un.
— J'aimerais vous entendre lire le rôle de la reine Guenièvre à partir de la page indiquée.
Le scénario dont il était question s'appelait Lancelot du lac et Robert Bresson m'avait plusieurs fois évoqué ce projet de film dont aucun producteur ne voulait et qui lui tenait tellement à cœur; son espoir de trouver un jour la personne adéquate et sa conviction que ce serait son film le plus abouti. Fort de ces certitudes, il persistait à faire circuler des exemplaires et à en parler au présent.
Je m'installai par terre, le dos appuyé contre le lit et lus avec plaisir les répliques de la reine Guenièvre tandis qu'il y répondait de mémoire tout en caressant les chatons. En bas, dans la cour, Charly rentrait avec son tracteur et apostrophait sa femme à propos d'une obscure querelle de ménage.
— Quelle horrible voix, soupira Robert Bresson. Ce n'est pas comme vous, je ne me lasse pas de vous entendre... Reprenez, s'il vous plaît.
Il était toujours allongé sur le lit mais avait négligemment posé sa main sur mon épaule. Une main au début si légère que je ne l'avais pas sentie.
— Vous feriez une merveilleuse Guenièvre, murmura-t-il.
Sa main remontait, effleurait ma nuque, caressait doucement mon cou. Je cessai de lire et me retournai vers lui. Son regard à la fois brûlant et tendre m'enveloppait tout entière mais je savais, maintenant, que ce regard ne me réclamait rien d'autre que d'être là, près de lui. Je savais aussi que personne encore ne m'avait regardée avec autant d'amour.
— Oui, reprit-il, une merveilleuse Guenièvre... Mais il faut me promettre de ne jamais tourner avec quelqu'un d'autre que moi... Vous me promettez, n'est-ce pas?
Cette demande me prit tellement au dépourvu que je ne trouvai rien à lui répondre. Lui perçut mon silence pour un acquiescement et un sourire heureux illumina son visage.
— J'étais sûr de votre réaction. A la sortie de Balthazar, vous vous interdirez de rencontrer d'autres cinéastes. Il faudra protéger votre innocence... vous garder pour moi, pour Lancelot du lac. Alors, vous pourrez être ma reine Guenièvre. Vous voulez bien, n'est-ce pas?
— Mais qui voudra produire votre film puisque personne n'en veut depuis vingt ans? C'est fini, cette histoire ! Vous n'y arriverez jamais !
Une ombre soudaine obscurcit son visage et sa main quitta ma nuque. Nous nous regardâmes en silence, sans bouger. Ses yeux reflétaient une tristesse et une lassitude qui le vieillissaient brusquement de plusieurs années. Ce n'était pas la première fois que j'assistais à cette mystérieuse métamorphose et, une fois de plus, je ne comprenais pas qu'il puisse changer d'âge à ce point.
— Vous êtes cruelle, dit-il enfin.
Et comme j'allais protester:
— Mais vous ne le savez pas encore.
Anne Wiazemsky
in Jeune Fille pp.196-197-198
© Editions Gallimard, 2007
Imagem: fotograma de Au hasard Balthazar de Robert Bresson (França, 1966)
Le comportement de mon entourage à mon égard changea. J'étais devenue «celle qui allait faire du cinéma». Certains se réjouissaient, simplement, sans arrière-pensée. D'autres glissaient au détour d'une conversation des propos désobligeants sur ma gaucherie, mon ignorance, la banalité de mon visage. Ces phrases assassines auraient empoisonné n'importe quelle jeune fille : c'est un âge où l'on ne sait encore rien de soi, où l'on doute, où l'on se cherche. Il me venait alors l'envie de renoncer au film, de m'enfuir très loin et de me faire oublier de tous.
Mais il y avait Robert Bresson. Dès que je le retrouvais, la peur s'estompait. Il me parlait avec infiniment de délicatesse, me considérait comme un être précieux doté de qualités que lui seul percevait. Parce que soudain j'existais pour quelqu'un, je me sentais pour la première fois exister et c'était au sens premier du mot bouleversant. C'est peu dire qu'il sut m'apprivoiser. Il tissa, jour après jour, un lien subtil qui me retenait attachée à lui. Nous passions du temps ensemble, nous avions de longues conversations au téléphone. Il m'interrogeait à propos de tout, s'irritait des heures loin de lui en compagnie d'amis de mon âge. «Que leur trouvez-vous ?» Et sans me laisser le temps de répondre: «Je suis sûr qu'ils ne vous valent pas ! » J'essayais de lui expliquer : Thierry avait été le grand amour de mes onze-douze ans, Antoine était mon complice, celui qui m'invitait au théâtre et avec qui j'avais de grandes discussions littéraires, Jules... «Peu importe, ces garçons.» D'un geste de la main, il balayait à l’avance tout ce que j'aurais pu encore en dire.
Anne Wiazemsky
in Jeune Fille pp.51-52
© Editions Gallimard, 2007
Imagem (e muito mais) aqui
Maria Rosa Deslandes Caldeira Coelho
Futscher Pereira
c.1973
Esta fotografia da minha avó Rosita, como todos a chamavam, foi tirada por mim. A mãe do meu pai tinha uma adoração por ele que nos incluiu a todos. Era doce, calma e secreta.O seu amor protegeu-nos muito.
L’appartement de ma mère communiquait avec celui de mes grands-parents. Une dizaine de marches, une double porte et un bout de couloir conduisaient au bureau de mon grand-père.
Cette pièce devint très vite un refuge. Mon grand-père toujours m'y accueillait, toujours il su trouver de quoi m'aider à faire face. Pas pour longtemps, bien sûr, pour quelques heures, une soirée. C'était beaucoup. Ne vivions-nous pas à cette époque au jour le jour?
Lui, ne souriait pas d'un air désolé mais franchement, avec malice souvent. Pour me distraire il évoquait ce que serait ma future vie d'adulte qu'il prédisait passionnante. Aussi brillante que la sienne. Dès que j'étais en mesure de me projeter dans l'avenir, d'émettre un souhait, si farfelu fût-il, il l'approuvait.
Je désirais écrire? Formidable! Des romans? Non seulement j'étais sa petite-fille mais j'avais du sang russe dans les veines comme Tolstoï et Dostoïevski, "les plus grands romanciers du monde", un sacré atout! Pour le théâtre? Ouille! Lui s'y était cassé les dents et me prônait la prudence. Je préférais devenir actrice? Quel beau métier! Pas facile, dangereux mais qui méritait qu'on y consacre sa vie! J'aurais déclenché le même enthousiasme en annonçant pianiste de jazz, marin-pêcheur, vétérinaire ou exploratrice. Et dans ces moments-là, je renouais avec l'idée d'un futur. Si lui y croyait...
Je lui en serai pour toujours reconnaissante.
Anne Wiazemsky
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