Domingo, 18 de Maio de 2014

En avant, route!

 

 

  Alix de Saint-André

 

La puerta se abre a todos,

enfermos y sanos

no sólo a católicos,

sino aun a paganos, a judíos, herejes,

ociosos y vanos;

y más brevemente, a buenos y profanos.

 

                                                     Poema del siglo XIII

 

 

 

On peut se croiser, mais on n'habite plus dans le même monde que les automobilistes. Pendant qu'on tournicote sans fin sur nos sentiers, de village en village, ils foncent tout droit d'une ville à l'autre. Si j'avais voulu ne pas me perdre et gagner du temps, j'aurais pu aussi longer les routes nationales. Il y en a toujours une pas loin, les panneaux sont sans mystère, cela va plus vite et c'est plus court. Mais le raccourci se paye cher: on s'explose les articulations et les pieds à marcher sur la chaussée, on respire le parfum des pots d'échappement, et l'on passe à côté de l'essentiel. Des lieux et des gens. Le chemin n'est pas fait pour aller vite d'un point A à un point B, il est fait pour se perdre, et perdre du temps.  Ou prendre  son  temps,  si l'on veut. Retrouver un monde à taille humaine et ses humains habitants. Ses animaux et ses végétaux. Chaque nouvelle erreur est une nouvelle ren­contre, chaque pas sur un sentier en creuse davantage l'existence sur la croûte terrestre, et l'on zigzague autour de la modernité à quatre kilomètres à l'heure. A la vitesse (si l'on peut dire!) du pas humain. Dans un autre espace-temps.

 

Le chemin nous fait vivre dans un monde parallèle. A la fois tout près des villes, et au milieu de nulle part. Un monde de petits sen­tiers et de hameaux qui festonne les grandes routes. Un monde de maisons d'hôtes et de gîtes ruraux, où évolue aussi une population paral­lèle, qui a plaisir à être là où elle est. A vous montrer combien c'est beau chez elle. Et qu'il n'y a rien de meilleur que sa cuisine... Car si le chemin ne pousse pas au mysticisme, il ne passe pas davantage par l'ascèse, Dieu merci! Jésus a commencé sa carrière miraculeuse en changeant l'eau en vin aux noces de Cana. Et non seule­ment sa mère était là, mais c'est elle qui l'y a poussé... L'avantage parfois douloureux de redé­couvrir la faim et la soif donne aussi l'occasion de se mettre à table chaque fois avec grand appétit, et sans aucun souci de régime : un vrai miracle!

 

Alix de Saint-André

in  En avant, route!

©Éditions Gallimard, 2010

 

 

 

 

 

 

 

publicado por VF às 17:51
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Quinta-feira, 30 de Julho de 2009

Proust

 

 

 

 

 

Chez Proust, Dieu a disparu. Mais personne ne songe à le chercher. On n'en parle pas. Le curé de Combray s'intéresse à l'étymologie, pas à la théologie. Les Guermantes vont à la messe parce qu'ils pratiquent la religion de leur famille, de leur milieu. Le plus fervent est le baron de Charlus; c'est aussi le moins vertueux. Dans le même genre, Odette, demi-mondaine, voue une dévotion intense à Notre-Dame de Laghet, dont elle porte une médaille en or... La foi est une donnée psychologique ou sociale des personnages, pas un sujet de préoccupation. On n'envisage pas que Dieu puisse exister. Ou non. La question ne se pose pas, même au moment de la mort de la grand-mère ou d'Albertine. Et ce n'est pas lui que le narrateur cherche quand il cherche la vérité au fond de son lit. C’est le mystère de l'homme qui l'intrigue, le sujet de son enquête et de sa quête.

 

 

«Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies se succédant sans interruption dans une famille ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin.»

 

Cette tranquille inexistence de Dieu est la condition de l'existence d'un temps perdu: il peut y avoir des temps morts, mais pas de temps perdu dans l'éternité... Aucun Barnum métaphysique ne soutient le monde de Proust; aucun jugement moral ne pèse sur ses personnages. Il a tendu le décor de ses mains, et c'est un décor toujours habité, construit, d'hôtels, de casernes, de théâtres, où les jardins sont entretenus et les plages fréquentées. Aucun désert, pas de montagnes, pas de grands espaces vierges. Ses paysages sont des aquarelles. On ne voit pas d'océan sans la voile d'un bateau ni de cieux sans qu'on y guette la présence d'un clocher ou l'arrivée d'un avion: aucune trace de l'existence de Dieu, mais plein de preuves de l'existence des hommes...


Quand on sort, on ne va pas loin et l'on n'y va pas seul. L'aventure est intérieure, et la plus grande aventure c'est l'amour, la déchirante rencontre de cet autre qui n'est pas fait pour vous. La jalousie... Là non plus on ne trouve aucun élan de naïveté sentimentale, ou alors sous forme de citations, comme ces lettres de Mme de Sévigné qui permettent à la mère et à la grand-mère du narrateur d'échanger des émotions d'une simplicité et d'une franchise inavouables, d'un autre âge, d'un premier degré disparu. Le cercle familial est conçu comme le seul vrai laboratoire de l'histoire, qui ne remonte pas les générations au-delà des grands-parents mais irrigue le présent. Malesherbes est le nom d'un boulevard.


La quête intérieure du narrateur produit elle-même sa métaphysique. La lumière qui l'éclaire, comme un cycliste produit en roulant l'électricité qui allume la lanterne de son vélo. En concevant l'art comme la vraie vie des hommes enfin vécue, et son livre à venir, mais que nous venons de lire, comme réalisation de ce projet, La Recherche est à elle-même sa propre Bible, sa référence. L'aboutissement et le début de la quête, son perpétuel recommencement et son salut, le lieu où Proust capture ces petites bulles de vie intense, de bonheur, décrites par Rousseau, pour nous en faire respirer le parfum. Car, contrairement à lui, Proust n'est pas seul; en se faisant personnage de son roman, en devenant le narrateur fictif de sa fiction, il prend le risque de se rendre vulnérable à ses autres personnages, qui brisent son moi et le font souffrir mille morts, condition tragique mais nécessaire à ses découvertes, condition humaine, tout simplement. Son livre est le lieu où il a sauvé le temps perdu et celui où il le cherche, où tourne le temps sans début ni fin. Où l'origine n'est plus un commencement. Proust a enfermé le génie dans sa lampe d'Aladin. Il a réenchanté son monde, et son lecteur, depuis l'intérieur de son livre. Il a transformé le «cercle de boue», qu' évoque Chateaubriand, en porcelaine tendre.

 

Alix de Saint-André

in  Il n’y a pas de grandes personnes

© Gallimard 2007




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Domingo, 26 de Julho de 2009

Chateaubriand

 

 


 

 

 

Quant à l'avenir de son livre, il  feint de l'interroger...

 

 

«L'ouvrage inspiré par mes cendres et destiné à mes cendres subsistera-t-il après moi? Il est possible que mon travail soit mauvais; il est possible qu'en voyant le jour ces Mémoires s'effacent: du moins les choses que je me serai racontées auront servi à tromper l’ennui de ces dernières heures dont personne ne veut et dont on ne sait que faire. Au bout de la vie est un âge amer; rien ne plait parce qu'on n'est digne de rien; bon à personne, fardeau à tous, prés de son dernier gîte, on n'a qu'un pas à faire pour y atteindre: à quoi servirait de rêver sur une plage déserte ? Quelles aimables ombres apercevrait-on dans l'avenir ? Fi des nuages qui volent maintenant sur ma tête!»

 

Pure coquetterie que ce «Fi» ! On ne donne pas une telle cadence à des nuages dont on se moque...


Chateaubriand n'a pas écrit ses Mémoires à défaut de jouer au Scrabble avec Mme Récamier, et ce paragraphe de grand vieillard amer sur sa plage déserte est fin prêt pour appareiller avec les autres vers la postérité. Il le sait très bien. Et là aussi, là surtout peut-être, le christianisme joue un rôle: s'il ne constitue pas une ligne morale très lisible dans sa vie, il constitue sans conteste la ligne éditoriale des Mémoires d'outre-tombe, sa ligne de flottaison, ou mieux: son certificat de navigabilité. Chateaubriand n'a aucun doute là-dessus. De façon prémonitoire, il avait conclu le chapitre consacré à l'histoire dans le Génie du christianisme en montrant que les Français n'étaient pas de très bons historiens, mais qu'ils se révélaient d'incomparables mémorialistes... Les meilleurs, étant, bien entendu, les mémorialistes chrétiens, ne serait-ce que d'un point de vue esthétique:

 

«Il y a dans le nom de Dieu quelque chose de superbe, qui sert à donner au style une certaine emphase merveilleuse, en sorte que l'écrivain le plus religieux est toujours le plus éloquent. Sans religion on peut avoir de l'esprit; mais on ne peut avoir du génie.»

 

Chateaubriand sait qu'il est un génie, ou qu'il en a un, c'est selon, on le lui a dit; il l'a écrit; il l'a même décrit. Ce génie, source d'angoisses terribles, l'a beaucoup tourmenté. Mais il sait aussi que son génie tient à la présence de Dieu dans son oeuvre. En tant que Créateur et souverain maître du temps et de l'histoire, certes, mais aussi garant de sa propre création littéraire. Il écrit à M. de Fontanes, en 1800:

 

«Tout écrivain qui refuse de croire en un Dieu, auteur de l'univers et juge des hommes, dont il a fait l'âme immortelle, bannit l'infini de ses ouvrages. Il enferme sa pensée dans un cercle de boue, dont il ne saurait plus sortir. Il ne voit plus rien de noble dans la nature. Tout est désenchanté.»

 

Ne l'appelle-t-on pas l'Enchanteur? Dieu est le grand metteur en scène de l'Enchanteur, son double fond sacré magique, il assure la hauteur de ses montagnes, l'abysse de ses océans, et l'authenticité de son tremblement d'humaine créature ballottée dans les naufrages... Sans Dieu, le monde se réduit à de la matière informe, un décor de théâtre où il faut agiter soi-même une feuille de métal en coulisses pour faire le bruit du tonnerre.


Les romantiques vont garder Dieu; imagine-t-on Victor Hugo sans les trois syllabes de Jéhovah qui font fuir Caïn « échevelé, livide au milieu des tempêtes » ? Sans cathédrale ? Les symboliques aussi, de façon plus lancinante, plus intérieure, mais il commence à s'estomper, à clignoter... Quand il ne sera plus là, il faudra trouver d'autres moyens pour rattraper le temps perdu, envolé comme un papier sur un quai de gare.

 

 

 

Alix de Saint-André

in  Il n’y a pas de grandes personnes

© Gallimard 2007

 

 

publicado por VF às 10:52
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Quinta-feira, 23 de Julho de 2009

Malraux

 

Malraux et moi, ce fut une grande histoire, et j'aimerais trouver pour en parler aujourd'hui les accents de ma passion d'alors, qui exaspéra souvent mes amis les plus intimes, et fit rigoler les autres. J'éprouve la même difficulté que les gens qui racontent un premier amour. Je l'aime toujours, bien sûr, mais mon coeur ne fait plus un bond en voyant ses photos, mes joues ne se mettent pas en feu chaque fois que j'entends prononcer son nom, mon coeur n'est pas 'brûlant dans ma poitrine' quand je parle de lui. C'est un peu poussiéreux ; cela devrait me rassurer, mais m'attriste, en réalité. Reste toujours sa voix. Je ne peux pas l'entendre sans que mon poil se hérisse, et que ma gorge se noue. Il est mort, bien sûr, mais le fait qu'il fût vivant n'a jamais eu une grande influence sur notre vie commune.

 

Alix de Saint-André

in Il n’y a pas de grandes personnes

© Gallimard 2007

 

 

 

 

 

 

Malraux, Proust, Chateaubriand e Rousseau revisitados com a paixão e o sentido de humor de Alix de Saint-André. Imperdível.

 


Oiça a voz de André Malraux numa entrevista sobre as suas Antimémoires aqui

 

Mais sobre Alix de Saint-André neste blog aqui 

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Terça-feira, 20 de Janeiro de 2009

Ma Nanie,

 

 

Zulmira de Jesus

São Francisco, c. 1958

 

Tu étais Nanie depuis ma naissance. Les grandes personnes t’appelaient Thérèse, les voisins Mademoiselle Thérèse, le facteur Mademoiselle Lecompte, mais nous: Nanie. Nos parents étaient tes patrons, mais nous étions tes filles. Tu t’occupais de tout, et de nous en plus. Tu faisais battre le coeur de la maison, circuler le sang des étages aux caves. Et notre coeur en plus. Un travail gigantesque.

Tu n’étais pas une “bonne”, mot inconnu au lexique familial. Je l’ai découvert en lisant Les Malheurs de Sophie, un été sous les tilleuls. L’insupportable Sophie (elle coupait des poissons rouges en rondelles; les vers de terre, encore, ça continue à bouger, mais les poissons rouges, berque!) l’employait à tout bout de champ. Et “ma bonne” par-ci, et “ma bonne” par-là. J’ai donc essayé et ma mère m’a enguirlandée. C’était un gros mot. Très vilain. Comme aristocrate ou putain. Pareil. Digne des affreux parvenus nouveaux riches. Sophie n’était pas un petite fille modèle, ton assistante était une employée de maison, et toi, tu étais Nanie. Point final.

 

© Alix de Saint-André

 

 

 

 

 

 

Mais sobre a autora aqui e outro excerto de Ma Nanie aqui

 

Mais sobre o Álbum de Família aqui

 

 

 

 

 

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