Quarta-feira, 4 de Novembro de 2009

aidos

 

 

 

 Le corps d' Hector  

Jacques-Louis David, 1778

 

 

 

 

Le nihilisme a été, est et sera. Il persévère non point comme une fatalité ou un système, mais comme une permanente et polymorphe adversité, un chapelet d'ombres dont la modernité ne saurait se défaire, bien qu'elles menacent de l’engloutir. Face à l'ampleur des destructions possibles, dès son origine l'Occidental se donne le choix. Soit il se laisse fasciner et se précipite, à corps perdu, dans la fournaise. Soit il prend du recul, tels Priam et Achille, le vieux roi de Troie et le jeune héros grec, pleurant, chacun dans ses pensées, près du cadavre d'Hector. Le recueillement, qui conclut L’Iliade et lui confère une hauteur inégalée, impose son silence au fracas des armes comme aux cris des enthousiastes. Les Grecs nomment pudeur, aidos, la distance qu'ils savent prendre avec le sang qu'ils versent et la fureur qui les habite. Soljenitsyne plaide pour le «principe capital» de  l’autolimitation des États, des sociétés et des citoyens, seul frein susceptible de contrôler les fantastiques puissances de la modernité. L'écrivain russe retrouve sous un autre vocable l'exigeante pudeur grecque qui tente de dompter par la douceur et la pitié réciproques les tempêtes et les audaces de la trop humaine hybris. Il y a cependant une différence. À partir de quoi la pudeur prend-elle sa si nécessaire distance? À partir de Dieu, conseille Soljenitsyne, qui recommande aux contemporains de retrouver un «sentiment totalement perdu : l'humilité devant Lui». Homère est plus direct. C'est devant le bruit et les larmes, le sang et la fureur, que la pudeur opère son mouvement de recul, c'est de l'horreur dévisagée telle quelle qu' Achille, Priam et Homère lui-même se distancient.

 

Aujourd'hui, l'Européen «vit comme si Dieu n'existait pas», observe le pape Jean-Paul II. Et dans la patrie de Soljenitsyne, au-delà des simagrées des locataires du Kremlin, seuls 4% des habitants sont orthodoxes pratiquants. L'expérience phare n'est plus religieuse, elle est redevenue littéraire et artistique, comme elle le fut à l'origine homérique de l'Occident. Grâce à Flaubert et Dostoïevski, Tchekhov, Chalamov et  Soljenitsyne lui-même, il n'est nullement avéré que nous ayons perdu au change.

 

L' Européen vit sans Dieu, force est de constater qu' il vit bien. Mais il vit aussi comme si le mal n'existait pas et risque de finir mal.

 

André Glucksmann

in Dostoïevski à Manhattan  p. 243-244

© Éditions Robert Laffont,S.A., Paris 2002

 

 

 

 

 

 


publicado por VF às 12:06
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