Segunda-feira, 26 de Outubro de 2009

le contrat dissuasif

 

 

 

 

 

 

Untitled 1982

Jean Michel Basquiat

 

 

 

 

À la lumière des guerres, crises et révolutions, la modernité européenne s'est révélée porteuse du pire comme du meilleur. Ses armes magiques — la politique sécularisée, l’économie rationalisée, l’innovation scientifique et intellectuelle — sont des techniques et à ce titre «capables des contraires» (Aristote). Elles placent les contemporains devant la responsabilité de bien ou mal en user. Dès qu'on reconnaît que les marchés, les États et autres prestigieuses organisations modernes sont, et ne sont que des outils susceptibles d'améliorer ou de détériorer la vie en commun, il faut conclure qu'en dernière instance ni l'État, ni le marché, ni les techniques en général ne se contrôlent eux-mêmes. Ces créations humaines ne comportent aucun système de freinage incorporé. Force est alors de concocter une procédure extrinsèque de contrôle et de limitation, dont l'opinion publique, toute faillible qu'elle soit, se retrouve, dans la cité occidentale, responsable.

 

Longtemps tête pensante de la modernité civilisée et par là même vouée aux contraires, l'Europe se projeta simultanément école du progrès, des guerres et des révolutions. Ayant plongé avec armes et bagages dans les horreurs du XXe siècle, elle connut le vertige absolu de l'étripement des nations qu'elle redoubla par les barbaries totalitaires. Guerre extérieure, guerre civile, guerre dans chaque conscience, c'est l'enchaînement déjà détaillé par Thucydide. De la tuerie extérieure à la folie intérieure, le cycle infernal menace en permanence de se répéter. […]

 

Le contrat dissuasif, qui fonde la Communauté européenne, est triple. Antifasciste d'abord, le spectre de Hitler rappelant que la pulsion de mort hante les sociétés évoluées, éduquées, industrialisées, et combien elle prend aisément, par temps de crise, le dessus. Anticommuniste ensuite, la communauté s'est édifiée à l'ombre du rideau de fer. Anticoloniale enfin, cette clause non écrite s'imposa tacitement quand chaque nation découvrit à ses frais qu'une participation à l'aventure européenne exige qu'on se libère de ses enlisements outre-mer. Dans les trois cas, la perspective d'une catastrophe commune impose de rigoureuses limites aux conflits des nations, à la lutte des classes et aux guerres de race et de religion. Dès 1848, Marx a très précisément formulé l'alternative sur laquelle butèrent les élites européennes un siècle plus tard : l' affrontement ouvre « soit sur une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit sur la ruine commune des classes en lutte» (le Manifeste). Tandis que le XIXe siècle, Marx en tête, n'avait d'yeux que pour le premier terme de l'alternative, la «transformation révolutionnaire», le XXe apprit à ses dépens ce qu'il en coûte de négliger le second volet: la «ruine commune», témoin les dizaines de millions d'Européens disparus dans les tourmentes, prolétaires, bourgeois, paysans, intellectuels mêlés. Bien que l'habituelle rhétorique politique chante l'optimisme et la confiance retrouvés, une insondable méfiance historiquement motivée fonde le nouveau contrat européen : tout pouvoir à l'État et à la patrie ? Nenni, voyez 1914. Tout pouvoir au parti et à l'idéologie ? Plutôt crever! Les forces politiques, économiques, syndicales, sociales, etc., se contrôlent-elles réciproquement ? Tant mieux. Ou bien se neutralisent et se paralysent-elles? À chaque citoyen, dans la mesure de ses possibilités, de prendre ses responsabilités.

 

 

 

André Glucksmann

in Dostoïevski à Manhattan  p. 240-241-242

© Éditions Robert Laffont,S.A., Paris 2002

 

 

 

 

 

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Sábado, 24 de Outubro de 2009

deuses pagãos

 

 

 

 

 

 

Segundo o Rabi Steinsalts, "vivemos hoje num mundo ocidental que está esvaziado do cristianismo e do judeo-cristianismo. E este vazio está agora a ser preenchido por outra coisa, e essa outra coisa é o paganismo". Steinsalts afirma que "a cultura em que vivemos hoje é uma cultura pagã que não é muito diferente da que prevalecia no mundo há cerca de 2500 anos". [...]


Steinsaltz apressa-se a explicar que isto não significa que já não existam cristãos no Ocidente. Simplesmente, a visão cristã do mundo perdeu influência. E, no lugar do Deus judaico-cristão, existem agora os deuses pagãos da antiguidade pré-cristã - ainda que possam ter novos nomes, novas imagens e novos templos.

O primeiro desses deuses é Baal, o deus do poder, também por vezes designado por Mammon, o deus do dinheiro. Os seus templos estão nos centros financeiros das grandes cidades e os seus padres são hoje designados por executivos e gestores.

O segundo deus pagão contemporâneo corresponde à antiga deusa da fertilidade e do sexo: Astarte, ou Ishtar, ou Ashtoreth. Os templos desta deusa - que já não é propriamente da fertilidade, mas simplesmente do sexo - encontram-se um pouco por toda a parte na sociedade ocidental.

Finalmente, temos uma musa promovida a deusa: Calliope, deusa da fama, simbolizada hoje na expressão "celebridade". Ser uma celebridade significa "ser um ninguém muito conhecido", isto é, alguém que toda a gente conhece mas ninguém sabe exactamente o que faz ou por que merece ser célebre. Os templos desta deusa estão em todas as casas e chamam-se televisão.

João Carlos Espada
in Palestra anual Isaiah Berlin: Está a cultura ocidental a tornar-se pagã?
Jornal i, edição de 17 de Outubro de 2009

 

Um artigo do Rabi Adin Steinsalts "The Paganisation of Western Culture"  aqui

Imagem: aqui

 

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Terça-feira, 20 de Outubro de 2009

La troisième mort de Dieu (2)

 

 

 


Photo: Tomasz Kizny 

 

 

L'univers concentrationnaire entraîne l'éclipse de Dieu. Il interpose entre l'homme et le divin la Révélation d'un mal total. Un mal extrême, tel qu'il est impossible d'en imaginer plus destructeur. Un mal général, dont la contagion et la reproduction toujours possibles interdisent de garantir son éradication. Si la foi fonctionne en preuve ontologique, elle découvre sa contre-preuve dans l'épreuve humaine de «faire le mal pour le mal» (P. Levi), la capacité d'instaurer le néant tout en affirmant l'être. «Il est généralement dans le fait d'être homme un élément lourd, écoeurant, qu’il est nécessaire de surmonter. Mais ce poids et cette répugnance n'ont jamais été aussi lourds que depuis Auschwitz. Comme vous et moi, les responsables d'Auschwitz avaient des narines, une bouche, une voix, une raison humaine, ils pouvaient s'unir, avoir des enfants: comme les Pyramides ou l'Acropole, Auschwitz est le fait, est le signe de l'homme. L'image de l’homme est inséparable, désormais, d'une chambre à gaz (1)»
.

La foi avait allégrement assumé la non-existence des Êtres Suprêmes sur la terre. Elle remettait leur venue au monde à plus tard. Elle promettait d'y travailler. La nouvelle mort de Dieu bouscule pareilles professions de foi. C'est l'essence de nos grandes notions qui se vide dans une irrattrapable hémorragie... Dieu tout-puissant où es-tu? Perdu ? Absent ? Malentendant? Quand l'horreur surgit, si le Seigneur est toute-puissance, ou bien il n'est pas toute-sagesse, ou bien il n'est pas toute-bonté. Si le Seigneur est omniscient et s'il est charitable, il faut croire qu'il est impuissant. Le concept traditionnel de l’être parfait devient fou (2). Son double profane, le concept d'Humanité, ne se porte pas mieux. Il dégringole en sa compagnie. At Auschwitz not only man died, but the idea of man, poursuit Élie Wiesel. Pas seulement l'homme mais l'idée de l'homme meurt (3).


«Tous les sentiments humains, l'amour, l'amitié, la jalousie, l'amour du prochain, la charité, la soif de gloire, tous ces sentiments nous avaient quittés en même temps que la chair que nous avions perdue pendant notre famine prolongée... Le camp était une grande épreuve des forces morales de l'homme, de la morale ordinaire et quatre-vingt-dix-neuf pour cent des hommes ne passaient pas le cap de cette épreuve... Les conditions du camp ne permettent pas aux hommes de rester des hommes, les camps n'ont pas été créés pour ça.» Passant les portes du Goulag, Varlam Chalamov a répondu en écho (4). Les rescapés parlent toutes les langues, ils viennent d'horizons, de pays, de partis, de conditions diverses. Après l’orage, s'ils survivent, ils empruntent des chemins divergents. Néanmoins le défi que tous lancent est identique. La négation totale de ce qu'ils tenaient auparavant pour souhaitable, imaginable, permis et défendu, pensable ou impensable impose, bon gré mal gré, une remise à plat radicale des catégories évidentes, «les hommes normaux ne savent pas que tout est possible»(5).

 

 
 
André Glucksmann
in La troisième mort de Dieu  p. 168- 167
© NiL éditions, Paris 2000

notas:


1) G. Bataille, Oeuvres complètes tome II, Gallimard, 1970, p. 226.

 

2) «Auschwitz a été pour moi une telle expérience qu'elle a balayé tout reste d'éducation religieuse... Il y a Auschwitz, il ne peut donc pas y avoir de Dieu. Je ne trouve pas de solution au dilemme. Je la cherche, mais je ne la trouve pas.»

Primo Levi, in Conversation avec Primo Levi, Gallimard, 1991, p. 74-75.

 

3) C. Wardi, Le génocide dans la fiction romanesque, PUF, 1986, p. 46 s.

 
4) Varlam Chalamov, Récits de Kolyma, Maspero, 1980, p. 31, II.
 
5) David Rousset, L'Univers concentrationnaire, Hachette poche Littérature 1998, p. 181. 

 

 

 

 

 

 

Imagem: fotografia de Tomasz Kizny. Um artigo sobre o trabalho deste fotógrafo aqui

 

 

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Sábado, 17 de Outubro de 2009

La troisième mort de Dieu

 

 

Execução 1941.jpg

 

 

 

Il suffit peut-être de formuler la question au plus simple, de demander : « Pourquoi les Juifs ont-ils été tués?»  Elle dévoile d'emblée son obscénité.

 

C. Lanzmann, réalisateur du film Shoah

 

Dieu n'a pas de pouvoir sur cette seule chose : faire que ne soient pas les choses qui ont été faites.

Aristote, Éthique à Nicomaque
 

 

L'Europe a exporté ses croyances jusqu'au milieu du XXe siècle. Là, elle s'arrête pile. Les récits des pères missionnaires, qui la passionnèrent et qui l’ont instruite depuis Christophe Colomb, ne suscitent pas même un intérêt poli. Ses missi dominici révolutionnaires ont souffert très vite d'une désaffection analogue. Ils passent désormais leur vie à contempler leur jeunesse, avec l'oeil vide d'un visiteur de musée Grévin, à peine curieux des poupées de cire. Tout juste trouve-t-on une oreille pour les héritiers des grands explorateurs, ces médecins et ces reporters, qui, revenant d'un Eldorado mythique, nous racontent des horreurs.

 

Qu'est-il arrivé ? Rien, sinon un ciel qui tombe sur la terre. Rien, sinon la lumière crue d’une première guerre mondiale. Rien, sinon la révélation que Dieu n'existe pas dans le monde. Mais les Européens courtois faussèrent compagnie à si sordide désillusion et repartirent de plus belle. En 40 comme en 14. Avec un petit plus. Leurs fois, désormais autogérées, s'affirmaient démentes, imperméables aux démentis. Elles se confirmaient dans leur échec même, car plus l'homme va mal, plus il aspire au bien. En 1945, enfin, la nouvelle «expérience du front», répétition au carré des boucheries, débranche la guerre civile. Et cette fois en silence. Une débauche de cris, d'imprécations, de manifestes avaient salué le retour des tranchées. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que les discours sonnent creux, ce sont les images qui hurlent la fracture des temps. «La première rencontre... est une sorte de révélation — révélation caractéristique de la nature des temps modernes: le négatif en épiphanie. Ce furent pour moi les photographies de Bergen-Belsen et de Dachau, que je découvris par hasard chez un bouquiniste de Santa Monica en juillet 1945. Rien de ce que j'ai pu voir depuis lors — en photographie ou dans la vie réelle — ne me fit jamais une impression plus vive, plus instantanée et plus profonde. Il me semble vraiment que je pourrais diviser ma vie en deux séquences : celle d'avant la vue de ces photographies — j'avais douze ans — et celle d'après, bien que je n'aie pu comprendre de quoi il s'agissait réellement que quelques années plus tard. La vue de ces photographies pouvait-elle en quoi que ce soit m'être bénéfique ? C’était simplement les images d'un événement dont j'avais à peine entendu parler, sur lequel je n'avais aucune prise — de souffrances qui étaient pour moi à peine imaginables, et je ne pouvais absolument rien pour les soulager. J'éprouvais en les regardant l'impression d'une rupture. Une limite était atteinte. Pas simplement celle de l'horreur: je me sentais frappée, blessée de façon irrévocable. (1)».

 

Bouche bée, la population d'Europe dut, bon gré mal gré, affronter sur grand écran et clichés pleines pages les instantanés de l'enfer. Les Allemands furent contraints, s'ils habitaient les environs, à la visite guidée des charniers d'épouvante. Pour les autres, les troupes américaines organisaient des projections. Obligatoires. Tu vois, tu manges. Tu te défiles, ventre creux. Les cartes d'alimentation sont distribuées aux séances de «ciné». Premier peuple aux paupières coupées, cherchant trois générations durant des échappatoires sans jamais réussir à fermer les yeux. Premier peuple à bénéficier de l'imprévue lucidité (2).

 

La chair calcinée ou gazée ne fait pas verbe, du moins pas sur-le-champ. Les images et les témoignages ont propagé une onde de choc qu'aucun discours encore ne rattrape. Stupeur et tremblement. Sartre, l'athée, découvre le «mal absolu», il emprunte la dénomination au pieux Maritain. II signe, par ailleurs, et sans lien explicite, l'acte de décès de Dieu. «Il nous parlait et maintenant il se tait (3).» Buber, le juif croyant, cite ce texte et vitupère ; il refuse le sacrilège; et nomme, à sa façon, le silence théologique, qui recouvre l'Europe. Il voit: «Le soleil s'obscurcit.» Il dit: « L'éclipse de la lumière céleste et l'éclipse de Dieu caractérisent l'heure que nous vivons.» D'un point de vue théorique, mort et éclipse font deux. Du point de vue factuel, touchant «l'heure où nous vivons», c'est tout un. Buber et Sartre énoncent à la fin des années 40 un constat, que le pape entérine un demi-siècle après: l'Européen vit «comme si» Dieu n'existait pas.

 
André Glucksmann
in  La troisième mort de Dieu p. 159- 160-161
© NiL éditions, Paris 2000
 
notas:
 
1. Susan Sontag, La Photographie,Le Seuil, 1979, p. 30-31.
 
2. Je n'y reviens pas ; c f. A. Glucksmann, Le Bien et le Mal, Robert Laffont, 1997.
 
3. Sartre, Situation I, «Un nouveau mystique», Gallimard, 1993.
 
 
Imagem: aqui

 

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Terça-feira, 13 de Outubro de 2009

Refléxions sur la Guerre (2)

 

 

 
 
 
Qu’est-ce que le courage?
 
 

«II n'y a de courage que physique», disait Michel Foucault. Et si c'était l'inverse ? Et si le vrai courage, le plus difficile, le plus admirable, était le courage intellectuel, moral ? Et si le seul courage qui tienne, celui d'où tous les autres procèdent, était le courage de réfléchir par soi-même, de penser à contre-courant, de vivre ou de se conduire autrement, de regarder le mal en face, de fixer son ennemi dans les yeux et de lui dire la vérité ? Et si ce courage-ci, celui dont parle Foucault et qu'il est convenu d'appeler le courage physique, le courage d'aller au-devant d'une embuscade, ou de traverser le Burundi à feu et à sang, ou, à Sarajevo, de braver les tireurs serbes en se promenant sur «Sniper Alley» et en s'attardant aux mauvais carrefours, n'était, au mieux, que l'épilogue de l'autre, son couronnement — au pire, c'est-à-dire le plus souvent, le signe, soit d'une fascination obscure pour le martyre et la mort, soit d'un manque d'imagination quant à l'éventualité de sa propre disparition ? Ainsi le colonel de Bardamu, dans Voyage au bout de la nuit, brave parmi les braves, si courageux, oui, qu'il finit par en mourir: «un monstre, écrit Céline, pire qu'un chien, il n'imaginait pas son trépas». Ainsi les enfants-soldats du Sri Lanka ou du Burundi: envoyés en première ligne parce que, drogués ou non, ils sont inconscients du danger, dénués d'instinct de conservation, imperméables à la peur — dira-t-on d'eux qu'ils sont «courageux»? Ainsi cette confidence de Malraux à Saint-Exupéry, rapportée dans La Corde et les souris, non sans une pointe de coquetterie: mon courage? quel courage ? je n'ai cru à la mort dans aucun combat aérien; je n'ai pas cru, à Gramat, que le peloton d'exécution allait tirer sur moi et, s'il avait reçu l'ordre de le faire, j'aurais, jusqu'au feu, cru qu'il ne tirerait pas ; je n'ai jamais pensé, même quand les obus tombaient, tout près de moi, que le prochain me toucherait; dans les maladies, chaque fois que l'on m'a anesthésié, je n'ai jamais craint de ne plus me réveiller ; je n'ai jamais pu, en un mot, me figurer mon corps mourant. Et ainsi le chroniqueur prenant le risque de la première ligne et de la zone interdite des caféiers de Tenga : inconscient, lui aussi; superstitieux, mais à l'envers; convaincu, sans doute à tort (mais le calcul, une fois de plus, était exact), de la bonne étoile qui le protège ; athée de sa propre mort ; il dit d'habitude, non sans forfanterie : «athée de l'inconscient» — eh bien il ajoute ici, mais sans doute est-ce la même chose, athée de sa propre mort; pas exactement invulnérable, non; ni hors d'atteinte; mais infoutu de concevoir (toujours le même problème, le même défaut d'imagination, de conscience — plus, en la circonstance, une bonne dose de vanité) un monde continuant sans lui; quel mérite à être «courageux»?

 
 
Bernard-Henri Lévy
in Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire  

Qu'est-ce que le courage? (24)

© Editions Grasset & Fasquelle, 2001

 

 

 

 

 

Imagem:do filme Estado de Guerra, de Kathryn Bigelow (The Hurt Locker - EUA, 2008) num cinema perto de si.

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Quinta-feira, 8 de Outubro de 2009

Réflexions sur la Guerre

 

 

Kosovo, 1999: imprint of a man killed by Serbs

© James Nachtwey 

 

 

Les mots de la guerre

 

(« ... des armées de soldats perdus dont le véritable objectif est moins de gagner que de survivre et de tuer... »)

 

Marre, chaque fois qu'il est question de guerre, d'entendre parler de courage, d'héroïsme, de dépassement de soi à travers l'action militaire, de fraternité des combattants, de force d'âme, d'honneur. Marre de ce lexique de boy-scouts, sans rapport avec la réalité de ces guerres où l'on s'affronte par populations interposées et où ce sont les civils, c'est-à-dire les femmes, les enfants, les hommes malades et désarmés, qui paient le prix des combats. Mon lexique, alors. Mes mots. Le style et l'allure de ces guerres, les passions qu'elles mettent en oeuvre, les vrais ressorts qu'elles mobilisent, vus, vécus, dits, à travers cet autre abécédaire.

 
Attente.On imagine toujours les combattants à l'assaut, au combat ou, au moins, en opérations. Et c'est toujours, du reste, la première chose que demande un reporter de guerre quand, parvenant aux abords d'un théâtre militaire, il arrive au contact d'un gradé : qu'on l'emmène « en opérations ». Mais la première loi de la guerre c'est l'attente. L'état normal, presque naturel, des combattants c'est l'inaction. Le plus clair de leur temps, ils le passent ensevelis dans des tranchées, recroquevillés dans des abris de terre ou des casemates, entassés, abrutis, engourdis par l'immobilité ou le froid, à l'affût d'ordres de mouvement qui ne viennent pas. Loi du moindre effort. Règle tacite, non écrite, mais également respectée par les deux camps, de l'évitement maximal. Se chercher, oui. S'épier. Contourner presque indéfiniment la position de l'adversaire tout en renforçant encore et encore la sienne. Telle est l'allure de la plupart des guerres que j'ai vues. Telles sont les occupations les plus constantes des combattants. Je n'ai jamais compris comment les guerres pouvaient faire tant de morts quand les chocs frontaux y sont finalement si rares. […]
 

Soumission. Comment les romans de guerre osent-ils parler de dépassement de soi? D’accomplissement? […] de communion fraternelle ? d'allégresse ? […] comment ont-ils le front de célébrer, dans les situations de guerre, des occasions d'émancipation et de liberté? La guerre, c'est la discipline. La sujétion maximale. L'esclavage. C'est l'une des situations où l'homme est le plus soumis à l’homme et a le moins d'issues pour y échapper.Il est empoigné. Réquisitionné. Ballotté par des ordres mécaniques. Objet d'un sadisme sans réplique. Exposé à l'humiliation ou au feu. Numéroté. Broyé. Astreint à la corvée. Pris dans des mouvements collectifs très lents, très obscurs, parfaitement indéchiffrables, qui, au plus naturellement rebelle, ne laissent d'autre choix que de se plier. La guerre c'est la circonstance, par excellence, où joue ce pouvoir de laisser vivre et de faire mourir qui est, selon les bons philosophes, le propre du pouvoir absolu. L'homme de guerre c'est le dernier des hommes, c'est-à-dire l'esclave absolu.

 

Peur. L'univers de la guerre, ce n'est pas l'audace, la vaillance, le courage, etc., mais la peur. La panique silencieuse et veule. L'animal humain qui se cabre. La chair rebelle, qui se raidit. Les épaules courbées. La tête basse. Le mauvais alcool qu'il faut avaler pour oser, au Burundi, mais aussi en Bosnie, monter au feu. Le combattant voudrait tant qu'on l'oublie. Il aimerait tant pouvoir se fondre dans la boue d'un chemin creux ou de la tranchée. Il n'a qu'une idée : sauver sa peau, resquiller, différer le plus possible le moment de passer à l'attaque, fuir peut-être, déserter comme les régiments du Lunda Norte. Il n'a qu'un rêve : la blessure, la bonne et vraie blessure, l'accident de providence qui le laissera borgne, ou estropié à vie, mais qui, comme les automutilations que s'infligeaient les Vendéens de 1792 réfractaires à la conscription «républicaine», aura, au moins, le mérite de le faire sortir de cet enfer. Il n'a, quand le fuit cette chance d'être blessé, qu'une activité sérieuse : compter les heures, les jours, puis ne même plus les compter, le temps passe si lentement, l'important c'est que l'ordre ne vienne pas, l'essentiel c'est ce temps lourd, visqueux, passé à ne surtout pas livrer bataille, ne pas avoir à mourir — qu'un autre meure à sa place ! n'importe quel autre ! n'importe quelle lâcheté, oui, n'importe quelles débrouille ou vilenie plutôt qu'avoir soi-même à se battre et mourir ! Soumis, et cabré. Prostré, mais resquilleur. L'égoïsme du survivant, ultime ruse de l'esclave, minuscule liberté qui lui reste.

 

Suicide. On ne parle jamais des suicides de soldats. Ou bien on en parle, mais à mots couverts, comme d'un secret honteux. Secret militaire, m'avait dit le général Pavalic à Sarajevo. Confidentiel défense, m'a dit un responsable angolais que j'interrogeais sur un cas de suicide collectif, dans le Moxico, que m'avait rapporté le responsable d'une agence humanitaire. Où irait-on si l'on savait qu'il y a, dans l'armée angolaise comme, sans doute, dans toutes les armées du monde, des gens qui préfèrent la certitude de mourir tout de suite au risque de mourir un jour ? Ultime liberté. Liberté noire, assurément. Liberté négative, désespérée, etc. Mais voilà. Liberté quand même. Dernière et seule ressource de la liberté. […]

 

Absurde. L'état naturel du troupeau c'est l'attente, la patience, la stupidité végétative. Mais il lui arrive tout de même de bouger. Il lui arrive de faire la guerre au sens où on l'entend d'habitude. Et ce ne sont alors qu'ordres idiots et mal compris, mouvements désordonnés, piétinements confus, fourmillement colossal ou, au contraire, infime : c'est la nuit où l'on ne reconnaît plus l'ami de l'ennemi, le mort du vivant; ce sont des jours plus sombres que des nuits où les unités montantes avancent à l'aveugle, cherchent les chefs des unités déjà au feu, ne les trouvent pas, se trompent; ce sont des attaques qui n'en sont pas ; c'est tirer au petit bonheur, n'importe comment, n'importe où — pour tuer ou faire peur ? viser l'ennemi ou se rassurer ? oh ! ces aveugles terribles, tâtonnant avec leurs fusils ! […]

 

Animalité. Le devenir animal de l'humanoïde. La saleté. La poussière. L'eau jusqu'au ventre. La tête dans la boue durcie, quand tombent les obus. Le corps putride et qui moisit. La chiasse du premier feu. Les chiottes, pour tout le monde, à ciel ouvert. La vermine.La parole réduite au grognement. La torpeur, la plupart du temps. Des journées passées à dormir, comme dans les tranchées du sud du Burundi, bouche ouverte, en tas. La faim. L'excitation quand arrive l'heure de la gamelle. Combien de morts aujourd'hui, dans le bataillon ? Très bien. Autant de rations en plus, pour les survivants. Au moins évitera-t-on, ce soir, d'avoir à aller, au-delà des lignes, fouiller dans le sac des morts. […]

 
Voilà, oui, le vrai visage de la guerre. Voilà ce qu'il faudrait pouvoir opposer à tous ceux qui nourrissent le romantisme de la guerre. « Le pire de tout, disait Geoffrey Firmin, le Consul de Malcolm Lowry, c'est de sentir son âme mourir.» Eh bien la guerre c'est, tous les jours, jour de mort pour les âmes.

 

 

 

 

Bernard-Henri Lévy

in Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire

Les mots de la guerre (12)

© Editions Grasset & Fasquelle, 2001

 

 

 

Imagem: Visite o site de James Nachtwey aqui

 

 

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Sexta-feira, 2 de Outubro de 2009

Lila (2)

 

 

 

Fotografia de Bruce Davidson

 

aqui 

 

 

Phaedrus remembered parties in the Fifties and Sixties full of liberal intellectuals like himself who actually admired the criminal types that sometimes showed up. "Here we are," they seemed to believe, "drug-pushers, flower children, anarchists, civil rights workers, college professors - we're all just comrades-in-arms against the cruel and corrupt social system that is really the enemy of us all."


No one liked cops at those parties. Anything that restricted the police was good. Why? Well, because police are never intellectual about anything. They're just stooges for the social system. They revere the social system and hate intellectuals. It was a sort of caste thing. The police were low-caste. Intellectuals were above all that crime-and-violence sort of thing that the police were constantly engaged in. Police were usually not very well-educated either. The best thing you could do was take away their guns. That way they'd be like the police in England, where things were better. It was the police repression that created the crime.


What passed for morality within this crowd was a kind of vague, amorphous soup of sentiments known as "human rights". You were also supposed to be "reasonable". What these terms really meant was never spelt out in any way that Phaedrus had ever heard. You were just supposed to cheer for them.


He knew now that the reason nobody ever spelt them out was nobody ever could. In a subject-object understanding of the world these terms have no meaning. There is no such thing as "human rights". There is no such thing as moral reasonableness. There are subjects and objects and nothing else.


This soup of sentiments about logically non-existent entities can be straightened out by the Metaphysics of Quality. It says that what is meant by "human rights" is usually the moral code of intellect-vs.-society, the moral right of intellect to be free of social control. Freedom of speech; freedom of assembly, of travel; trial by jury; habeas corpus; government by consent – these "human rights" are all intellect-vs.-society issues. According to the Metaphysics of Quality these "human rights" have not just a sentimental basis, but a rational, metaphysical basis. They are essential to the evolution of a higher level of life from a lower level of life. They are for real.


But what the Metaphysics of Quality also makes clear is that this intellect-vs.-society code of morals is not at all the same as the society-vs.-biology codes of morals that go back to a prehistoric time. They are completely separate levels of morals. They should never be confused.


The central term of confusion between these two levels of codes is "society". Is society good or is society evil? The question is confused because the term "society" is common to both these levels, but in one level society is the higher evolutionary pattern and in the other it is the lower. Unless you separate these two levels of moral codes you get a paralyzing confusion as to whether society is moral or immoral. That paralyzing confusion is what dominates all thoughts about morality and society today.


The idea that "man is born free but is everywhere in chains" was never true. There are no chains more vicious than the chains of biological necessity into which every child is born. Society exists primarily to free people from these biological chains. It has done that job so stunningly well intellectuals forget the fact and turn upon society with a shameful ingratitude for what society has done.

 

 
Robert M. Pirsig

in Lila: An Inquiry into Morals (p.331)

© Robert M. Pirsig, 1991,2006
 
 
Acompanhe aqui o debate sobre questões morais que enfrentamos no dia-a-dia

 

 

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