Quinta-feira, 30 de Julho de 2009

Proust

 

 

 

 

 

Chez Proust, Dieu a disparu. Mais personne ne songe à le chercher. On n'en parle pas. Le curé de Combray s'intéresse à l'étymologie, pas à la théologie. Les Guermantes vont à la messe parce qu'ils pratiquent la religion de leur famille, de leur milieu. Le plus fervent est le baron de Charlus; c'est aussi le moins vertueux. Dans le même genre, Odette, demi-mondaine, voue une dévotion intense à Notre-Dame de Laghet, dont elle porte une médaille en or... La foi est une donnée psychologique ou sociale des personnages, pas un sujet de préoccupation. On n'envisage pas que Dieu puisse exister. Ou non. La question ne se pose pas, même au moment de la mort de la grand-mère ou d'Albertine. Et ce n'est pas lui que le narrateur cherche quand il cherche la vérité au fond de son lit. C’est le mystère de l'homme qui l'intrigue, le sujet de son enquête et de sa quête.

 

 

«Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies se succédant sans interruption dans une famille ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin.»

 

Cette tranquille inexistence de Dieu est la condition de l'existence d'un temps perdu: il peut y avoir des temps morts, mais pas de temps perdu dans l'éternité... Aucun Barnum métaphysique ne soutient le monde de Proust; aucun jugement moral ne pèse sur ses personnages. Il a tendu le décor de ses mains, et c'est un décor toujours habité, construit, d'hôtels, de casernes, de théâtres, où les jardins sont entretenus et les plages fréquentées. Aucun désert, pas de montagnes, pas de grands espaces vierges. Ses paysages sont des aquarelles. On ne voit pas d'océan sans la voile d'un bateau ni de cieux sans qu'on y guette la présence d'un clocher ou l'arrivée d'un avion: aucune trace de l'existence de Dieu, mais plein de preuves de l'existence des hommes...


Quand on sort, on ne va pas loin et l'on n'y va pas seul. L'aventure est intérieure, et la plus grande aventure c'est l'amour, la déchirante rencontre de cet autre qui n'est pas fait pour vous. La jalousie... Là non plus on ne trouve aucun élan de naïveté sentimentale, ou alors sous forme de citations, comme ces lettres de Mme de Sévigné qui permettent à la mère et à la grand-mère du narrateur d'échanger des émotions d'une simplicité et d'une franchise inavouables, d'un autre âge, d'un premier degré disparu. Le cercle familial est conçu comme le seul vrai laboratoire de l'histoire, qui ne remonte pas les générations au-delà des grands-parents mais irrigue le présent. Malesherbes est le nom d'un boulevard.


La quête intérieure du narrateur produit elle-même sa métaphysique. La lumière qui l'éclaire, comme un cycliste produit en roulant l'électricité qui allume la lanterne de son vélo. En concevant l'art comme la vraie vie des hommes enfin vécue, et son livre à venir, mais que nous venons de lire, comme réalisation de ce projet, La Recherche est à elle-même sa propre Bible, sa référence. L'aboutissement et le début de la quête, son perpétuel recommencement et son salut, le lieu où Proust capture ces petites bulles de vie intense, de bonheur, décrites par Rousseau, pour nous en faire respirer le parfum. Car, contrairement à lui, Proust n'est pas seul; en se faisant personnage de son roman, en devenant le narrateur fictif de sa fiction, il prend le risque de se rendre vulnérable à ses autres personnages, qui brisent son moi et le font souffrir mille morts, condition tragique mais nécessaire à ses découvertes, condition humaine, tout simplement. Son livre est le lieu où il a sauvé le temps perdu et celui où il le cherche, où tourne le temps sans début ni fin. Où l'origine n'est plus un commencement. Proust a enfermé le génie dans sa lampe d'Aladin. Il a réenchanté son monde, et son lecteur, depuis l'intérieur de son livre. Il a transformé le «cercle de boue», qu' évoque Chateaubriand, en porcelaine tendre.

 

Alix de Saint-André

in  Il n’y a pas de grandes personnes

© Gallimard 2007




publicado por VF às 16:09
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1 comentário:
De Henrique a 31 de Julho de 2009
http://www.dailymotion.com/video/x1sq2a_plumetv-3-alix-de-saintandre_creation

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